Du 14 avril au 28 mai 2014, la MJC Grand Cordel accueille le Musée des montagnes un projet collectif mené par l’artiste-plasticienne Hélène Leflaive qui « rassemble des images, des objets, des documents traitant des montagnes, de près ou de loin » sous la forme de notices bibliographiques.
A la fois dérisoire, poétique, drôle mais également sérieux, méthodique et austère, pour un sujet aussi banal que sacré – cet événement s’intègre dans la programmation 2013-14 du Grand Cordel (sur la thématique FRAGILE) élaborée en partenariat avec La Collective – qui a d’ailleurs aidé au financement de l’affiche.
LA MONTAGNE : UNE CONSTRUCTION COLLECTIVE RÉGLEMENTÉE
Pour répondre à la solitude des artistes-plasticiens, Hélène Leflaive a souhaité créer une œuvre collective mais soumise à certaines règles de base. Projet commencé il y a 6 ans (en 2008), le Musée des montagnes repose initialement non pas sur une plaine, mais sur un règlement intérieur composé de 18 articles, lisibles sous forme de poème graphique sur l’affiche de l’exposition.
Ce règlement est une sorte de charte des engagements qui pose les bases artistiques, juridiques, financières du Musée des montagnes et réglemente les rapports entre son auteur, Hélène Leflaive, et les propriétaires-dépositaires de montagnes. Avec une vraie méthodologie inspirée de la documentation le Musée des Montagnes a une ambition encyclopédique.
Toute personne propriétaire d’une montagne est invitée à la déposer dans son format original (texte, photographie, dessin, vidéo, article de journal) auprès d’Hélène Leflaive qui se charge alors de rédiger une notice et d’indexer cette montagne.
Le Musée des montagnes impliquant la participation de tiers, et son auteur Hélène Leflaive nouant une relation avec chaque dépositaire, le Musée des montagnes est aussi une collection de gens, de personnes.
A partir de cette collection particulière d’œuvres indexées, Le Musée des montagnes peut prendre plusieurs formes (édition, exposition notamment) et permet plusieurs projets et adaptions possibles.
Au Grand Cordel, il s’agit d’un inventaire temporaire composé de 30 notices.
LA MONTAGNE : DE L’ARCHÉTYPE AU PRÉTEXTE
- QU’EST-CE QU’UNE MONTAGNE ?
La définition d’une montagne ne connaît pas de mesure ni d’exactitude, et même en géographie, sa définition est relative et problématique.
Rencontre du ciel et de la terre, demeure des dieux ou sanctuaire, symbole des frontières naturelles, conservatoire de la biodiversité de la planète, espace isolé et en marge sous de nombreuses latitudes, la montagne est également un symbole interculturel qui évoque le refuge, l’ascension humaine, la transcendance, la spiritualité, (la « manifestation ») en suggérant aussi stabilité, immutabilité, et parfois même pureté.
Rangez vos clichés, ce n’est pas une collection de sommets enneigés ni de collines bretonnes que vous découvrirez au Grand Cordel (même si on y parle du mont saint Michel de Brasparts, dans les Monts d’Arrée), mais un travail de variation plus prosaïque autour du concept « montagne ».
« Au-delà des caractères objectifs, l’utilisation des espaces
montagnards relève des représentations collectives.
Quelles que soient les époques et les continents
les populations ont projeté sur les sommets
leur cosmologie, ou plus généralement
tout un imaginaire psychique, social ou spirituel. »
(Bernard Ellissalde, « Montagne », in Hypergeo)
- DES MONTAGNES DE TOUTES SORTES
Les montagnes collectées par Hélène Leflaive sont protéiformes. Il peut s’agir de véritables montagnes, de fragments de montagnes (ex : des cailloux volcaniques) ou bien de montagnes allégoriques (ex : une pile de cours) ou des montagnes suggestives (ex : une photo gros plan d’une clé crantée).
Le Musée des montagnes d’Hélène Leflaive, sans prétention d’exhaustivité, s’avère finalement un prétexte à évoquer d’autres choses ; il parle de ce qui nous dépasse, nous semble incommensurable, et rassemble des fragments de mémoires individuelles, pour former une collection documentaire d’anecdotes et de visions subjectives sur l’idée de « montagne ».
« La montagne est une montagne par le rôle qu’elle joue dans l’imaginaire populaire »
(Roderick Peattie, Mountain Geography, a critique and field study, 1936)
POURQUOI LA MONTAGNE ?
Pour Hélène Leflaive qui vit et travaille à Rennes depuis plusieurs années « la montagne est un archétype moins cucul que les arbres » et, sa définition ondoyante et métaphorique offre un large champ d’interprétations et d’appropriations possibles.
Formée aux Beaux-Arts de Bordeaux, employée de passage au journal La Montagne en tant qu’assistante de rédaction, Hélène Leflaive a aussi travaillé comme médiatrice culturelle en s’exposant alors à la question du témoignage, de la transmission et de la participation du public, autrement dit des liens et des interactions entre public / œuvre / auteur.
Plus que le volume de la montagne, son essence ou sa richesse symbolique, c’est le motif pictural de la montagne qui a donné naissance au projet du Musée des montagnes. En s’interrogeant sur la représentation de la nature à travers la question « A quel moment la représentation de la nature est-elle crédible ? » (« A quel moment lorsque je dessine des lignes courbées, reconnaît-on qu’il s’agit de montagnes ?»), Hélène Lefalaive a réalisé elle-même la première œuvre indexée du Musée des montagnes.
En quelque sorte né d’une tentative de réponse au défi de la « représentation » et s’inscrivant de fait, dans les problématiques de l’art contemporain, Le Musée des Montagnes n’est donc pas un musée de terroir !
UN MUSÉE QUI N’EN EST PAS UN
Tout comme le rôle d’Hélène Leflaive est ambigu (artiste, commissaire d’exposition ou curatrice ?), la notion de musée l’est également dans ce projet : le Musée des montagnes qui sous sa forme temporaire, n’a pas de murs, ni de forme figée ni réellement matérielle, questionne la notion d’’espace et de l’autorité institutionnelle du Musée.
« L’espace est un doute » (Georgres Perec)
Entre collection d’archives et cabinet de curiosités – qui permet de découvrir autant d’univers qu’il existe de montagnes – le Musée des montagnes prend au grand Gordel une touche minimaliste : les trente notices sont présentées alignées horizontalement, dans l’ordre d’indexation, un choix « neutre » pour Hélène Leflaive qui ne souhaitait pas d’une scénographie particulièrement sophistiquée.
Par son humour décalé et discret, Hélène Leflaive ajoute une dimension complétement dérisoire dans ce projet. Ainsi a-t-elle installé dans le jardin du Grand Cordel, un règlement intérieur sur les jardins comme pour filer d’autres variations possibles de ce projet. Elle a par ailleurs réalisé spécialement pour l’espace d’exposition du Grand Cordel, des « sculptures statistiques » (comprendre des sculptures qui représentent des statistiques). Ces sculptures qui rassemblent des donnés sur le Musée des montagnes (âge des participants, lieux de vie et un camembert des mediums proposés) offrent un côté préhensible et ludique aux donnés, loin des infographies à la mode sur le net !
Ces sculptures montrent aussi une autre forme possible de présentation du Musée des montagnes qui sera probablement amené à revêtir d’autres formes encore (facilement permises par les multiples façons d’indexer les œuvres et de les classer).
Si le Musée des montagnes n’a pas encore de dimension numérique à proprement parlé, ce projet se nourrit d’une démarche collaborative, de réseau et de liens. A bien des égards, il se rapproche d’ailleurs d’un travail de constitution de banque d’images
Tout comme une encyclopédie collaborative en ligne, Le Musée des montagnes s’assume comme une œuvre collective inachevée et d’ailleurs, « prend son temps » (cf : art. 2 du règlement intérieur). Il se construit, s’évapore, se reforme, disparaît et réapparaît. En-deçà de son côté impalpable, c’est l’idée de la montagne qui demeure.
Le Musée des montagnes à la MJC Grand Cordel
du lundi 14 avril 2014 au mercredi, 28 mai 2014
Entrée libre // Gratuit
Et pour ceux qui veulent déposer une montagne personnelle :
amorce@no-log.org
Des liens et des ailes
>> D’autres musées qui n’en sont pas :
* Dodéca, un projet autour du nombre 12 de Philippe-Liev Pourcelot (Arthotèque de Lyon 2012)
* Le « Musée d’art moderne/Département des Aigles » de Marcel Broodthaers (1924-1976)
* Le musée du Point de vue de Jean-Daniel Berclaz
>> Sur le musée et le numérique
>> Sur la définition de ‘montagne’ en géographie
>> Un film !