Le Finistère en août. Brume, pluie assaillante, vent obsédant et, plus joli festival de l’été – à mon goût. Visions se constitue sur deux bases étonnantes : au fin fond de la campagne bretonne, un domaine de pierres, rural et familial est réveillé par une musique plus urbaine que jamais : techno minimale, cold wave, new wave, rock progressif et kraut rock souvent hard et free (la liberté comme ton global, oui). De là provient cette beauté étrange, celle-ci même qui transforme tout festivalier ordinaire dont le terrain favori reste la boue, enjambement de cadavres et vomi compris, en machine vibrante et contemplative, attendrie par la portée de cette musique vécue comme expérience nouvelle aux côtés du passé qu’elle sous-tend. Venons en au fait, parler de réussite sans parler de scène ne légitime rien, mais il faut insister sur la qualité de la fracture espace-temps, utilisée ingénieusement comme ancre pour placer cette programmation dans un présent conscient. Autre remarque importante : les attentes sont comblées par une montée crescendo de la qualité des prestations au cours du week-end. Petit recap, donc.
Cheveu enflamme (terme ringard mais adéquat) la soirée du vendredi côté cours et fait planer sur un public déchaîné mais joyeux, un stromboscope tant auditif que visuel. Midi-Deux assure côté jardin avec une house festive, plutôt facile mais terriblement efficace. La journée du samedi laisse place aux petits plus du festival : espace créateurs fourni en productions pointues et jolies, ateliers divers pour les petits (et plus grands), galettes et frites à tomber, cadre magique avec camping vue sur mer. La performance de danse sur voiture Lotus ouvre cependant les voies d’un scepticisme latent avec une orientation trop transparente. Les synthés lourds et sales, les chants lo-fi se dressent plus subtilement contre le marché capitaliste. Avec goût et surprise, la place de l’indé défonce suffisamment ici les barrières des genres pour politiser l’effet.
La machine, en marche depuis 24h, intègre les enfants rétro de Rendez-vous, dont les DJ set étaient effectivement à l’image du live : entre rigueur et nonchalance, un florilège de saveurs allemandes et eighties envahi la scène, propres et dansantes, cold wave franche et inspirée. Kap Bambino c’est différent, c’est aussi excellent, mais différent. Saturé de sons criards, à travers la production instrumentale agressive et les appels de l’infatigable chanteuse, le live ose une désinhibition acclamée.
Le sens de la convivialité ambiant aiguise le désir et la sensibilité d’un public désormais comblé, et le réveil dominical est d’une agréable fraîcheur, motivé par les images de la veille et par l’idée d’une nouvelle soirée de découvertes. Le voilà qui débute tendrement. Saintes est touchante et fragile, surtout redoutable. La faiblesse et l’irrégularité de sa démarche solitaire sont comme des caresses, et l’on reste pendu à son live grâce au vibrato et aux faussetés de sa voix, à la guitare trop présente, enfin grâce à la boite à rythme qui refroidit le tout. Le Réveil des Tropiques apporte par sa musique éponyme, jazzy et free, progressive et teintée d’expérimentations sonores assumées, la dose de chaleur nécessaire, le côté chill et daté, voire bobo.
Ceux-ci peuvent d’ailleurs se réjouir, comme tous les spectateurs, de l’avancée de la soirée pour enfin voir arriver Rubin Steiner. En effet, le live du virtuose est vécu par chacun, et c’était à prévoir, comme une grosse claque divine. Le programmateur du Temps Machine ne se contente pas d’une seule inspiration, il dresse au fil du concert un panel de références variées. Niveau instrumental tout est savamment géré, entretenu avec énergie et passion pour faire monter la sauce et atteindre une forme de paroxysme, perfection question recherche et prestation. Son dernier LP, Discipline in Anarchy, alliant phases de noise et electronica planant, en passant par du rock n roll sincère, configure à lui tout seul un récap correct de tous les genres invités sur le domaine de Traon Nevez ces 8, 9 et 10 aout 2014. Dans l’attente d’une prochaine édition toute aussi agréable et retentissante, bien à vous.