Le groupe Cimarron (nominé pour un Grammy Award en 2005) s’est produit vendredi 18 juillet aux étangs d’Apigné, dans le cadre des Tombées de la Nuit. Avec une virtuosité et une présence remarquables sur scène, ils ont su transmettre au public rennais leur passion pour le « joropo », une musique bouillonnante inscrite au cœur de l’identité de leur région, située entre Colombie et Vénézuela.
Il est bientôt 22h, et la nuit commence à gagner le ciel audessus des étangs d’Apigné. Les dômes éphémères du festival, installés près de la berge, s’illuminent. L’atmosphère est paisible, rien ne laisse penser que cette soirée qui débute en douceur se terminera sur des rythmes endiablés !
Cinq musiciens prennent possession de la scène. Arrivant tout droit de Colombie, ils sont totalement inconnus chez nous, et viennent faire partager ce soir un patrimoine musical qui les imprègne depuis la plus tendre enfance. Une invitation au voyage qui ne se refuse pas ! Leurs traditions sont celles des Ilaneros, ces paysans qui vivent au milieu des interminables plaines de Los Llanos Orientales, allant de la Colombie jusqu’au Vénézuela. Ils arborent de larges chapeaux, belle évocation des hommes qui peuplent ces terres tropicales propices à l’élevage. L’un d’entre eux porte fièrement un Tshirt « Cimarron ». Le nom du groupe, qui signifie « sauvage », « indompté», renvoie à l’image du taureau libre « qui ne connaît pas la corde, le corral ni le fer (…) et qui s’ébroue sans contraintes dans les savanes et les forêts environnantes. », comme l’exprime si bien le harpiste et compositeur Carlos Rojas, leader du quintet. Peut-être s’agit-il également d’une référence aux esclaves fuyant leurs maîtres au temps de l’asservissement racial en Amérique latine. Ils leur doivent en partie les sonorités africaines du “joropo”, cette musique métissée dont ils sont les dignes héritiers.
Attirés par les notes du premier morceau, des spectateurs se rapprochent. Et, soudain, la chanteuse Ana Veydo Ordoñez surgit, parée d’une robe jaune éclatante. Elle entame un chant d’une grande expressivité. Sa voix, plaintive au début, s’enflamme au fur et à mesure du flot ininterrompu des paroles vibrantes qu’elle déclame, sans reprendre son souffle. Une performance impressionnante ! On sent là une femme de tempérament, d’une présence peu commune. On dit d’ailleurs que la gent féminine de la région a un caractère de feu, en réaction à l’environnement machiste qui est son quotidien.
Le charme opère rapidement, aux accents de cette musique riche de plusieurs cultures : indigène, andalouse et africaine. Le mélange improbable de la harpe, du cuatro, de la bandola, et de la contrebasse, accompagné de percussions, se fait transcendant grâce à la virtuosité des musiciens ! Les paroles évoquent les traditions du Llano : la transhumance, le dressage des chevaux, les fêtes dédiées aux Saints… Dans le public, un de mes amis, étudiant colombien issu de cette region, connaît par coeur les pas de danse et les rythmes traditionnels de son pays natal, et parvient à amener ceux qui l’entourent à frapper dans leurs mains sur des morceaux de plus en plus enlevés. L’ambiance monte, quelques-uns se lancent dans des duos improvisés !
Finalement, au bout d’une heure passée trop vite, la chanteuse annonce la fin du concert. C’est mal connaître le public breton, qui réclame un rappel, puis deux… puis trois! « Quand tu fais un concert en Bretagne, tu ne peux pas partir comme ça ! », s’amuse un jeune homme derrière moi. Et chaque musicien de se lancer dans un solo d’improvisation époustouflant, long d’au moins cinq minutes. Mon ami se retrouve à danser avec la chanteuse, et les deux, maîtrisant parfaitement les pas, achèvent d’assurer le spectacle ! Le seul regret, c’est qu’une bonne partie du public n’ose pas vraiment bouger, gênée sans doute par leur méconnaissance de la danse du joropo. Toutefois, ils se rattrapent par des acclamations prolongées.
Cimarron- Quitapesares par runprod
A l’image du public, on ne peut qu’adresser un grand merci aux artistes et aux organisateurs du festival des Tombées de la Nuit, sans qui ce moment d’exception, d’une rare intensité, n’aurait pas eu lieu. On n’ose même pas imaginer l’ambiance des fêtes en Colombie, en
cette période de célébrations de l’indépendance !
Anne C., avec la participation d’Eduardo G. pour les précisions culturelles.