Départ imminent dans les contrées méconnues des terres Viking avec les contes trépidants de la compagnie Maxiju. Ces deux jeunes comédiens issues de la scène parisienne, Maxime le grand et robuste barbu qu’on imagine bien combattre l’assaillant et Julien, petit gringalet à l’air malicieux, nous plongent dans un univers fabuleux au fil de leurs récits. C’est au fin fond des forêts scandinaves qu’on dépose nos valises et faisons la rencontre d’une princesse sanguinaire, d’un terrible loup (pas si terrible que ça), d’un serpent fabuleux et d’une série de personnages tous plus abracadabrantesques les uns que les autres. Ce qui aurait pu ressembler à un simple récit d’histoires issues des mythes du Grand Nord devient un voyage à travers les âges sous le regard de Maxime et Julien… Conteurs un peu loufoques qui multiplient les références à des codes plus actuels, créant une véritable ouverture contemporaine sur ces chroniques légendaires.
Comment vous-êtes vous rencontré, et avez décidé de monter ce projet ?
Julien : On s’est rencontré à Paris, on était élèves dans des conservatoires municipaux à Paris, on est comédiens de formation. C’est au cours d’ateliers transversaux en fait, en plus de la formation dispensée au conservatoire. Ces ateliers sont autour de pleins de trucs, ça peut être de la mise en scène, du conte, marionnettes etc… On était pas dans le même conservatoire, c’est par le biais d’un atelier orchestré par Gilles Bizouerne, un conteur très important pour nous qu’on s’est trouvé. Il a été notre formateur, nous a mis le pied à l’étrier. Ça c’est fait comme ça, à l’occasion d’un événement incongrus mené par Gilles. Ça a bien marché et du coup on s’est dit qu’on allait continuer à bosser ensemble, on a intégré une autre formation, toujours avec Gilles où il n’y avait que des conteurs déjà dans le circuit avec un projet qui était donc le spectacle que tu viens de voir, crée en parti dans ce cadre.
Le conte est un domaine assez peu exploité, notamment par de jeunes comédiens tels que vous, pourquoi ce choix ?
Maxime : Moi je ne connaissais pas ce milieu, ou alors de loin en loin, comme tout le monde. C’était un peu connoté à tord pour les enfants. C’est surtout par curiosité, pour rencontrer une nouvelle pratique… D’abord j’ai été moyennement étonné qu’il y ait des gens qui s’emparent de ces histoires pour les adultes aussi. C’est une parole qui est très différente de la parole du comédien, c’est une adresse vachement directe au public qui m’a beaucoup plu.
Julien : Mais je pense que la rencontre avec Gilles a joué pour beaucoup, on aurait pas abordé le travail de la parole contée sans ce mec là. C’est quelqu’un de très ouvert.
M : Et qui tiens une formation qui contrairement à beaucoup de mecs qui ont des cours comme ça, qui ont une façon un peu despotique de travailler avec une seule vision de la chose, va faire venir d’une semaine à l’autre pleins d’intervenants différents. Des mecs qui n’auront pas forcément la même manière de travailler que lui, d’autres techniques, manières d’aborder le truc. On a donc eu la chance de pouvoir rencontrer pleins de paroles différentes et diverses façons de s’emparer des histoires. Et on s’est régalé, on s’est dit qu’il y a moyen de faire des conneries…
Avant d’en venir au contes justement, vous aviez déjà des préférences dans le théâtre, la comédie ?
J : Avant je ne sais pas car je ne connaissais pas Maxime, mais en fait il n’y a pas vraiment d’avant et d’après puisqu’on continue à faire autre choses, tous les deux dans le théâtre. Je travaille avec un collectif que j’ai cofondé, Arts/traversée Grenier de la GARE, il y a plusieurs années maintenant, à Ivry sur Seine. On travaille essentiellement sur des créations, ça peut être tout et son contraire mais l’une des spécificité de ce collectif c’est de faire du théâtre déambulatoire dans lequel le spectateur est inclus dans la fiction.
M : D’ailleurs Julien a mis en scène un spectacle qu’on jouera en juin à Paris, dans lequel je joue aussi. C’est un peu dans cette veine là, du théâtre déambulatoire. Pas du tout du conte. Je fais aussi de la marionnette, à la base je suis plasticien, je faisais ça en parallèle.
J : Et puis on a aussi tous les deux une activité de comédiens au service de différents metteurs en scène, et là ça dépend des rencontres, des auditions.
Comment avez-vous monté ce spectacle ? On imagine que le domaine des contes, mythes scandinaves nécessitent beaucoup de recherches, d’infos à récolter en amont…
M : Il y a eu pas mal de recherches oui. En fait la genèse du truc c’est qu’on a commencé à bosser sur l’histoire du Milieu, l’histoire russe parce qu’il s’agissait d’une commande pour une soirée russe. On est allé piocher dans le répertoire russe, un peu au petit bonheur la chance. On a cherché chez un mec qui s’appelle Afanassiev, un peu le pendant des frères Grimm, de tous ces grands collecteurs d’histoires, qui lui a travaillé en Russie au XVIIIème siècle, très très connu dans ce répertoire. On a farfouillé dans ces trucs là, on était un peu pris dans le jus parce qu’il a fallu être rapide. On est tombé sur cette histoire qui nous a plu parce qu’elle est complètement absurde.
J : Elle nous posait beaucoup de questions en fait.
M : C’était un peu un challenge de traiter ça, on s’est lancé et ça a marché, autant nous dans le travail on s’est bien trouvé parce qu’on avait jamais bossé ensemble, et le retour du public qui a été hyper bien. Alors qu’à cela ne tienne, on a commencé à monter le spectacle en partant de cette base là. C’est à ce moment qu’on s’est posé la question « qu’est-ce qui nous intéresse vraiment dans cette histoire ? ». En ce moment où dans les médias, dans le monde en général et malheureusement pour longtemps je pense, on est gavé de violence dans tous les sens, on a donc eu envie de bosser là dessus, sur l’exclusion aussi. On s’est demandé pourquoi la violence, comment on en arrive à se fritter sur la gueule, à se tuer. On a voulu continuer à explorer un répertoire assez traditionnel et là on s’est dit boum les vikings quoi ! Ils ont une mythologie de guerrier. On est allé farfouiller la dedans et on a trouvé ces histoires. L’histoire de Fenrir, c’est vraiment l’histoire de l’exclusion, du loup ou en tout cas de l’entité qui se fait exclure, juste parce qu’elle est différente.
J : Et potentiellement puissante…
M : On a fait pleins de recherches, il y a pleins de versions où le loup se pointe et il est de suite méchant. Les Dieux l’excluent, parce que c’est un bâtard et il y a d’autres versions, comme celle que nous on a faite et qui nous intéressait plus, ou le loup arrive et il est cool quoi ! Il joue avec les gamins, les dieux l’excluent quand même juste parce que c’est un loup.
J : Voilà, du coup l’idée c’était ça, comment on peut traiter les questions liées à la violence sans en faire une histoire dramatique, évidemment on sait qu’il s’agit de questions sérieuses mais ça peut-être une solution de les aborder de manière plutôt légère ou à travers l’humour. En tout cas pour voir comment on peut la désamorcer cette violence, et montrer que finalement, elle n’est pas plus forte que ça. C’est l’un des enjeux du spectacle, et au final c’est un spectacle où l’on rigole beaucoup.
Oui, c’est sur ! Vous avez également l’air passionné par l’histoire !
J : Ah ben on y touche forcément, c’est un passage obligé !
M: Moi je me souviens, très petit j’étais fasciné par les mythologies, les délires de dieux etc. Ceux sont des histoires intemporelles qui parlent beaucoup. De vrais symboles.
Et qui traversent les époques…
J : Ouais voilà. C’est un enjeu intéressant de se demander comment on fait pour raconter ces histoires là aux autres, pour qu’elles vivent. Elles sont intemporelles, c’est une évidence, les questions sont les mêmes que celles que l’on se pose aujourd’hui, simplement la question est comment les traiter pour qu’on puisse les recevoir.
M : On les fait vivre à des gens de notre génération qui ne les connaissent pas forcément et qui se disent « Ah ouais on peut se marrer avec des histoires de sorcières, de babayaga.. » et pourtant ceux sont des contes populaires, mais ces histoires racontent plus que ce qu’elle semble raconter.
J : On va travailler sur un projet autour du mythe Gilgamesh, dont le titre provisoire est Gilgaclash. Il y aura une troisième personne, un musicien, beat-boxer qui vient du monde du hip-hop. L’idée est de travailler seulement avec les voix mais en utilisant des techniques musicales. C’est un gros challenge mais on a envie de le faire, à notre manière, parce que les histoires on les respecte dans le sens où on les aime.
Vous touchez un public très large ! Vous vous attendiez à autant de diversité, dans les âges ou même types de public ?
J : Là aussi, c’était un peu l’enjeu, au début on voulait faire un spectacle pour tout le monde. On voulait surtout faire un spectacle qui nous plaise, qui nous fait rire nous, et en fait au fur et à mesure de la création on s’est rendu compte que ça allait toucher tout le monde.
M : Mais on s’est pas du tout posé la question des gamins, et il se trouve que les gamins accrochent. On était étonné tout à l’heure de voir un petit minot de 4 ans, sa maman nous a dit que c’était son premier spectacle, il pleurait à la fin… On s’est dit merde qu’est ce qu’il se passe, je suis allé le voir et en fait il pleurait parce qu’il voulait que ça recommence vraiment. On dit que c’est à partir de 8 ans mais finalement même lui avait accroché. Il n’attrape pas tout, enfin même à 8 ans les marmots ils n’attrapent pas trop, comme on est souvent sur du second degré, des références grivoises.
En même temps comme il y a beaucoup de gestuelle, quelque chose de très théâtrale justement, des mimiques, un vrai jeu sur scène, cela a beaucoup d’impact…
J : Voilà, comme c’est un travail qui est à la frontière de pratiques, si jamais il fallait cloisonner, on est dans le théâtre, dans le conte, finalement on est dans les deux en même temps. Et effectivement l’une des réussites, je pense, c’est aussi ça. C’est que là où les enfants prendront beaucoup ce qui est mimes, gestes, incarnations parce qu’on fait des gueules rigolotes, les parents attrapent plus ce qui passe par la parole, ou des petites allusions.
Toutes ces références ont une place très importante, vous faîtes de nombreux clins d’oeil au cinéma, séries, même à la publicité, je pense notamment à la description de la princesse. Comment arrivent-elles dans votre jeu ? Evoluent-elles au fur et à mesure des représentations ?
M : Ce qu’on veut c’est raconter cette histoire avec nos propres références. Tu vois par exemple je balance un kamehameha (cf. Dragon Ball Z) au moment de la bataille. C’est notre délire , c’est comme ça qu’on voit la guerre et du coup c’est vraiment ramener cette mythologie là à nos références. Après, comme ce que tu dis par rapport à la pub, c’est marrant c’est justement un truc qu’on a remodifié il y a trois jours avec un copain. Cette phrase là (cf. la description de la princesse, ndlr) je ne la disais pas de façon publicitaire, et là ce qu’on travaille c’est de se la jouer à fond pub parfum Chanel etc. et tu vois par exemple, on a pas du tout changé les mots, mais on a changé la manière de le traiter. Donc effectivement il y a des choses qui arrivent, des choses qui partent parce qu’elle font moins rire.
J : Oui ou qui nous plaisent moins, nous semblent moins judicieuses. C’est un spectacle qui n’est pas figé dans le sens où justement on se laisse de la latitude pour faire bouger les choses au fur et à mesure et en même temps il est très en place depuis maintenant un bon bout de temps. Il y a une forme de souplesse mais avec une structure très forte.
Comment vous répartissez-vous les rôles, personnages ?
M : C’est au feeling, c’est vraiment comme ça vient. Mais pour le prochain c’est moi qui ferai la princesse.
J : C’est vrai que la princesse on se bataille pour la faire… ! Mais ce n’est pas si vrai que ça, c’est pas comme ça vient, par exemple Yvan Tsarevitch et Katoma, Yvan c’est le gringalet et Katoma le gros balèze, et voilà le grand fait le petit et le petit fait le grand, c’est plus rigolo comme ça. Parce que c’est là où on ne nous attend pas en fait.
Vous jouez souvent lors de festivals ? Quelles types de scènes arpentez-vous en général ?
J : On joue partout où il est possible de jouer ! Comme tu l’as vu, c’est un spectacle qui est facile à transporter puisqu’il n’y a absolument rien à part deux chaises et nous. C’était un peu l’idée au début, de pouvoir jouer n’importe où, aussi bien lors de festivals que chez des particuliers, dans des universités, en hôpital, dans des bars, squats, théâtre…
Vous avez encore beaucoup de dates à venir ?
M : Oui on continue à tourner, on joue beaucoup. On a un gros projet qui est de créer une salle de spectacle mobile, en forme de chapiteau. On travaille avec un copain qui est architecte, on va fabriquer un dôme géométrique en bois. On a lancé un projet de financement participatif avec ulule, au nom de So Dôme and Go More, c’est un projet qu’on monte avec deux copines, également conteuses.
J : Oui, elles racontent aussi en duo. Ce n’est pas le même travail mais il se rapproche du nôtre puisque le théâtre et le conte s’y rencontre aussi. L’idée c’est de partir faire tourner nos spectacles ensemble sur les routes de France avec cette structure. Cela nous permet d’être autonome et de ne pas dépendre de programmateurs. On va se balader avec cet été quoi !
M : Voilà, faire les romanichelles parce qu’on aime ça aussi !
Merci à Maxime et Julien pour leur sympathie ! Retrouvez-les sur leur page Facebook et sur leur site, Le Scrupule du Gravier.
Merci à Gaëlle Evellin pour ses jolies photos !