En ce jour de Pâques et pour le dernier jour du festival Mythos, Rennes à coup de cœur n’a pas été à la chasse aux œufs mais plutôt à celle des spectacles et des concerts. Le spectacle dit familial, de seize heures, « Barbe bleue assez bien raconté » a attiré du monde, ce lundi après-midi.
Le Cabaret-resto, le Cannibale, était presque rempli. Beaucoup d’enfants n’ont pas ramassé leurs chocolats l’après-midi. En effet, ils étaient tous au spectacle de Titus, alias Thierry Faucher, conteur aux multiples facettes. Ce dernier (ra)conte l’histoire d’un bourgeois riche infortuné surnommé Barbe Bleue, écrit par Charles Perrault, écrivain du dix-septième siècle. Et quel enfant n’a pas lu les contes de Perrault, Boucle d’Or, les Fées ou autre en grignotant des biscuits ? De plus, Mythos avait rajouté un macaron « Famille » pour ce spectacle sur le programme. Tout pour attirer un jeune public.
Barbe Bleue et l’Absurde
Le spectacle « Barbe bleue assez bien racontée » traite du conte Barbe Bleue. Mais, en tout, « j’en ai neuf à vous raconter », dit le conteur avec une mine pressée qui signifie « On a pas que ça à faire ». Tout le monde connaît l’histoire de Barbe Bleue, ses stratégies pour enjôler les femmes et les piéger. Mais Titus ne s’en tient pas qu’au conte et nous informe sur Charles Perrault, « né en 1628, mort en 1703 » et son œuvre « Son œuvre majeure, Contes et histoires du temps passé, écrit en 1697, viendrait de recueils italiens pendant la Renaissance ». Des digressions qui durent une bonne dizaine de minutes où le (petit) homme s’assied sur sa chaise bleue roi, commence un mot, fronce les sourcils et s’arrête pour telle ou telle raison. Rajoute des détails, fait des commentaires sur le conte et sur le spectacle lui-même. « Je devais avoir un accordéoniste avec moi mais il est mort y’a une semaine d’une crise cardiaque », dit-il le plus sérieusement du monde. Et en profite pour le critiquer, « c’était pas un virtuose, hein ».
Mise en abyme du spectacle
Voilà toute la subtilité de ce spectacle, Thierry Faucher fait rire par l’absurde, par ses commentaires acerbes sur les femmes, son accordéoniste « défunt », les gens de la régie, le festival en lui-même « ça casse pas trois pattes à un canard » et à toute autre personne dans la salle. Encore faut-il comprendre que ce n’est qu’un spectacle et que le semblant d’improvisation ne l’est pas vraiment, au final. Ce mi-conteur mi-comédien, dans son rôle d’antipathique misogyne et défenseur de Barbe Bleue, sème le trouble dans les esprits. Fait-il vraiment exprès ? Quand il parle de sa vie, de sa femme qui est partie « parce que [il est] trop traditionnel, pas assez original », est-ce vraiment la sienne ?
Le spectateur ne sait qu’à la fin qu’au final, ce conteur mal dans sa peau n’est que subterfuge pour laisser place à un Thierry Faucher souriant et agréable. Mais cette impression sur le fil entre réalité et fiction, entre ce qu’on croit être la vie personnelle et vie professionnelle du conteur laisse perplexe. En parlant de vie professionnelle, Titus commente aussi ce que doit être un « bon » conte, « assez bien raconté » avec les changements dans la voix, les mimiques, la musique et la lumière.
Improvisateur tout de même
Ce spectacle n’est tout de même pas réglé comme du papier à musique. Crée en 2009 par le comédien lui-même, le spectacle est bien rodé mais laisse place, tout de même, à une réelle improvisation avec les spectateurs et les aléas de la scène. Un enfant qui braille, Titus rétorque « N’hésitez pas à le sortir s’il a chaud ». Son ballon vert qui éclate ou sa veste qui se coince dans la chaise, l’ancien animateur fait avec et, sous sa barbe, en sourit.
Conte pour enfants, spectacle pour adultes
Il est vrai que sur la plaquette du spectacle, le résumé parlait de Perrault et c’est le nom « Barbe Bleue » qui a attiré l’attention. Sous couvert de pédagogie, « Allez viens mon chéri, on va écouter Barbe Bleue ! », les parents ont entraîné leurs bambins dans la salle. Et les enfants étaient au rendez-vous.
Choix peu judicieux car même si les contes traditionnels sont vus pour les enfants, ils sont, au contraire, principalement pour les adultes. Le conteur n’est plus le grand-père qui raconte, pipe au bec, les histoires à ses petits-enfants au coin du feu. Dit en passant, c’est une chose à laquelle tient particulièrement le festival Mythos. A l’époque de Charles Perrault, le conte critiquait vivement la société. Dans Barbe Bleue, l’aristocrate a des « relations complexes avec les femmes, enfin vous allez voir ça toute à l’heure ! », explique Titus. Misogynie typique du dix-septième siècle.
C’est aussi un point de ce spectacle, un conte populaire revu et corrigé. Enfin, cela dépend surtout du public. Et le public d’enfants n’était peut-être pas le bienvenu. Mythos, festival des arts de la parole, veut aussi s’adresser au jeune public avec des spectacles « tout public » l’après-midi. Seulement, ce sont les jeunes qui ont été déçus car ils n’ont pas pu en voir toute la subtilité. Quand on prend ce spectacle au premier degré, « Barbe bleue assez bien raconté » n’est, en fait, qu’un conte rempli de digressions à n’en plus finir, quelques gags et un conteur misanthrope. Toute la finesse est de savoir prendre le recul nécessaire pour l’apprécier à sa juste valeur. Ressorti de la salle, vous ne verrez plus jamais les œuvres de Perrault d’un œil si naïf.